samedi 31 décembre 2016

Nouvelle N° 17 - Delia face au port - Trophée Anonym'us 2017


Créé par

 Anne Denost et Eric Maravelias




17 nouvelles, 17 semaines, plus que 10 à découvrir.


DELIA FACE AU PORT



First time I shot her I shot her in the side
Hard to watch her suffer
But with the second shot she died

Johnny Cash


Delia marche dans la rue Fesch. Elle porte aux pieds une paire de richelieu vernis noire avec un talon de 9,5 cm. Ce ne sont que des Repetto mais elle prend garde aux interstices des pavés et aux merdes de chiens qui constellent le passage de la rue piétonne et pourraient abimer ses talons. Une vague de touristes retraités arrive de face. Malgré ses 45 kilos et son mètre soixante, Delia ne se poussera pas, la vague devra s’ouvrir devant elle. Ça parle allemand et, en dehors de Marlène Dietrich, Delia vomit les Allemands sans savoir pourquoi. Comme une allergie. Le temps est lourd. Les journées d’automne à Ajaccio sentent souvent les angoisses étouffées que le soleil n’a plus la force de masquer. Il y a dans le ciel des nuages bouffis et humides. Si Delia pensait, elle ne se dirait rien de plus en les observant que : 

– De gros Arabes poisseux au hammam. 

Delia n’est pas une jeune fille apte à penser et cela lui rend bien des services au quotidien. Exister lui importe peu, elle vit et elle brille quitte à marcher dans le vent mais jamais dans la merde et toujours en chaussures qui coûtent une blinde. Là, quand même, les richelieus pèsent autant que des pompes de chantier. Il fait lourd. Delia ôterait bien sa fine veste de cuir mais la garder à la main ou sur le sac casserait sa silhouette. Les couleurs sombres mettent ce qui reste de son bronzage estival en valeur. Elle porte un shorty et un soutien-gorge push-up Princesse tam.tam, un serre-taille Aubade. Si elle était dodue, la sueur inonderait l’ensemble d’auréoles sombres comme le sang. Delia est gaulée à faire pâmer les voyeurs d’Instagram. D’un gracieux mouvement de tête, elle balance sa chevelure blonde sur son épaule gauche. Elle compte plus de 14 K Instagramers parce qu’elle a la taille fine, un beau gros cul qui doit bien peser le tiers de son poids total, de longs cheveux et la science photographique pour choisir l’angle de vue de son corps ou des paysages corses. Les gens adulent le sexe et l’argent ouvertement aujourd’hui. Plus besoin de se cacher derrière un quelconque culte païen. 

Les retraités sont descendus d’un bateau de croisière bleu marine qu’elle a vu dans l’enfilade de la rue des Trois Marie. La perspective en plongée le place au-dessus des immeubles de la vieille ville. C’est monstrueux à bien y regarder. Beau et terrifiant à la fois. Quant à la vague compacte au milieu de la rue Fesch, elle n’est qu’agaçante et ne laisserait plus un pélot dans les commerces à en croire les patrons. Comme dirait sa mère qui lâche des milles et des cents chez ses amies boutiquières, la saison durerait toute l’année, elles trouveraient quand même à se plaindre. Delia n’ira finalement pas au contact de la vague, elle souhaite faire une entrée la moins chiffonnée possible. Virer dans la rue de gauche, l’air est plus épais à avaler qu’une coulée de radium ou une giclée de sperme chaud au fond de la gorge. Ange-Ma » adorait qu’elle avale et elle lui jouait bien qu’elle adorait ça elle aussi. Tout dépend du contexte, comme aujourd’hui. Delia pense à la mère de sa mère qui crachait sur sa propre descendance qu’elle ne se serait pas corrompue pour deux œufs avec les Italiens pendant la guerre. En échange de quoi, elle s’est prostituée toute sa vie dans la sphère domestique des petites compromissions quotidiennes. Les chiennes ne font pas des chattes. Delia doit subir à fond pour garder la place sur le piédestal ajaccien. Elle arrive à la porte cochère de l’immeuble de Santu. 

La porte blindée donnant sur le palier s’ouvre quand elle appuie sur la sonnette et elle s’avance dans un petit vestibule face à une seconde porte en bois massif. En haut à gauche, elle aperçoit une installation vidéo. 

– Santu, ouvre-moi. 

Il ouvre la porte en grand. 

– Delia. T’ouvrir ? Mais bien sûr, ma chérie. Entre. 

Elle avance d’un pas. L’appartement est nu, comme Santu qui bande déjà, très à son aise. Delia dévie son attention vers la vue de l’appartement sur le port de commerce d’Ajaccio. Le bateau de croisière des retraités schleus de la rue Fesch est à quai devant les immenses baies vitrées du salon. C’est un énorme Mein Schiff. Le père de Delia, président de la Chambre de Commerce et d’Industrie, dit toujours à propos de ce bateau : « Grattons-nous le cul, ça prolonge la chance. Demain, les Schleus du Meineuh Chip vont larguer leur fric dans la ville. » L’appartement de Santu est au quatrième étage et il semble encore quelques niveaux plus bas que le pont supérieur du bateau. Quelques croisiéristes sont au bastingage. Loin, noirs et flous comme des oiseaux de malheur. Delia ne saurait dire à quel point, à moins qu’elle se trompe. Son jugement est biaisé. Elle ne sait pas où ni comment regarder alors elle scrute la pièce, fait comme si tout était normal, ce qui amuse beaucoup Santu. Aux murs du salon, huit reproductions grand format de photographies d’Araki. Toutes sont des shootings de femmes japonaises ligotées et soumises. Delia a entendu dire que lors de séances, les femmes pouvaient se mettre à pleurer, soulagée de s’abandonner, en éclipse totale de leur psyché. Normaliser la déviance est la protection des peureux. Le salon est meublé d’un écran plat 65 pouces, d’un canapé quatre places en toile beige, d’une table basse carrée de plus d’un mètre de côté, d’un très beau tapis oriental. Sur la table basse, trois cordages en fibre naturelle. Une porte ouverte à courte distance à main gauche, sur la table de la cuisine, une plaquette de quatre cachets bleus, des restes de coco et une demi-bouteille de Saint-Georges en verre. Delia ne sait plus si elle doit avancer ou non et l’indécision va la laisser précisément là où elle est alors elle franchit largement le seuil jusqu’au milieu du salon et balance sa chevelure du côté gauche. 

– Tu prends mes affaires ? 

– Je dois te fouiller, chérie. 

– C’est pas utile. 

– Oh que si. 

– Putain, Santu, pour qui tu me prends ? Pour une des pétasses soumises que tu as au mur. 

– Tu ne veux pas ma réponse. Et c’est du kinbaku-bi. De l’art. 

– Sérieusement, je m’en branle. Si tu me fouilles, j’me casse et c’est tout. 

Il claque la porte intérieure derrière elle. Il sent qu’elle a peur. Elle est impressionnée. Il est content. Santu passe un bras autour de sa taille et se colle contre elle, place son sexe entre ses cuisses et lèche ses lèvres en une fois. Comme un lion. Delia déteste qu’un homme lui bave dessus. 

– Qu’est-ce que t’as, là ? 

– Un serre-taille, pour mettre mon cul en valeur. Tactique. 

Santu prend sa main et l’invite à s’assoir sur le tabouret haut face au bateau. Delia voit des passagers du bateau flâner sur le ponton. Elle pose délicatement son sac sur la table basse et se hisse sur le tabouret 

– Le vitrage est filmé sans tain. Tu peux admirer la vue, te laisser baigner par la lumière du jour, en toute discrétion. J’y passe des heures depuis que je suis là. 

– Au point où j’en suis. Tu m’offres à boire ? J’ai soif. 

– Après tu iras aux toilettes. 

– T’as peur d’une douche à la pisse ? tente Delia qui redresse la tête. 

– Reste assise, ma belle. C’est mieux. Il n’y a rien à boire d’autre que de l’eau. Et j’ai pris du Viagra. Pour durer longtemps, c’est mieux que la dope. 

Delia transpire, l’appartement est trop chauffé. Les tâches de sueur sur sa robe pourpre s’étendent. Elle le sent sous son cuir qu’elle enlève et jette sur le canapé. Elle se garde bien de poser des questions et attend que Santu la baise, comme prévu. Il bricole près du téléviseur et lui montre l’écran d’un iPad. 

– Voilà ! Regarde. 

L’écran plat affiche quatre fenêtres, une vue de l’extérieur de l’immeuble, une vue du palier d’étage, une vue entre les deux portes, une vue du salon. Sur l’iPad, il ouvre une fenêtre qui affiche le film du salon sur le téléviseur. Delia regarde le couple à l’écran, la fille résignée, le gars sec avec une bite de chien. 

– Je ne risque rien avec toi, hein ? 

– Bien sûr que non, surjoue-t-elle. Moi, je suis contente de te voir et, comme je te l’ai dit au téléphone, ma famille s’excuse. 

– N’en parlons surtout pas, tu es là et c’est magnifique. Les affaires sont pour plus tard. 

Santu s’agenouille devant elle et place les mains sur les genoux toniques de Delia. Il repousse la robe, attrape le shorty. Delia se lève un peu sur ses jambes et Santu fait glisser le shorty sur les chevilles, le renifle et l’envoie sur la table basse. Il renifle ensuite les cuisses et s’approche du sexe de Delia qui réprime un frisson. Santu ouvre les lèvres de Delia avec son nez. Delia pousse un petit cri et se dégage. 

– Tu as peur ? 

– Je ne suis pas parisienne. Je n’ai peur de rien. J’ai juste hâte que tu me prennes. 

Delia laisse penser qu’elle a peur en niant complètement. Sa mère lui a enseigné quelques stratégies qui laissent croire aux hommes qu’ils sont les maîtres. Elle est juste écœurée, en fait. Santu sourit. 

– N’en fais pas trop. Il ne faut pas. Avoir peur. Tu sais bien qu’on a besoin l’un de l’autre, maintenant. 

Il se tait trente secondes, fourrant à nouveau son nez dans Delia. 

– Et les Parisiennes sont géniales comparées à toi, pintade. Je vais t’attacher, murmure-t-il en lui attrapant le poignet. 

Cette fois, Delia le repousse et tombe du tabouret. La vélocité de Santu lui permet de la saisir par les cheveux. Il amortit sa chute avant de la tirer en arrière et de l’allonger sur le tapis. À genoux sur elle, il la frappe à main ouverte, Delia ne voit que le sexe pendant au-dessus d’elle telle une troisième jambe, effleurant la robe à chaque claque. Tandis qu’il se lève, elle racle le sol pour s’enfuir à nouveau. La famille n’a qu’à se trouver une autre pute. La chute et la volée qu’elle vient d’encaisser ont déréglé tous ses repères, elle s’affale lourdement. Santu la retourne avant de la frapper à nouveau à coups de gifles mesurées, à rythme lent. 

– Ça, c’est pour te rendre l’humiliation d’avoir préféré l’autre gros. Ça ira mieux après. 

Santu stoppe sa litanie de baffes. Delia geint, elle saigne du nez. Des mains, elle effleure son visage pour s’assurer que tout y est bien en place. Santu la tracte par les aisselles pour la ramener au milieu du salon face au port. 

– Tu vas tacher mon tapis. 

Il déchire la robe dans le dos de Delia et la jette. Le voile pourpre ondule dans l’air chaud du salon avant de se poser magnifiquement sur un coin de parquet puis de s’étaler comme la nuit sur la beauté des femmes. Delia tente de se tenir droite mais elle souffre. Son nez coule alors elle articule « mouchoir » pour Santu qui lui ramène une serviette humide et fraîche de la cuisine. Delia tamponne son visage pendant que Santu dégrafe le soutien-gorge push-up. 

– Il faut les libérer ces seins. Ils seront bien plus beaux entre mes cordages. 

– Sale connard. Ne me fais plus mal. 

– Tu as eu ta dose, lui répond-il de la cuisine. Maintenant, tu te relaxes, chérie, tu vas adorer. Tu me remercieras ensuite. 

Elle reste là, le nez gluant et les cheveux emmêlés. Ses gros seins pendent sur son ventre. Elle parvient à se tenir droite pour leur octroyer leur vrai visage, la paire de seins pleine et large qui a fait son succès auprès d’Ange-Marie la première fois qu’ils se sont rencontrés. Sa mère les lui a offerts pour ses seize ans. Elles sont allées à Nice ensemble pendant les vacances de Noël de son année de première, discrètement, et l’été suivant Delia pétait les scores à la paillote du Week-End. Delia sanglote et ravale tout quand Santu revient. Elle fait semblant de soulager ses tuméfactions avec la serviette. Il s’agenouille devant elle et avale un cachet de Viagra. 

– Qu’est-ce t’as, t’es impuissant ? 

– T’étais en retard, j’en ai pris un il y a plus d’une heure alors je double la dose. Certaines filles sucent aussi bien qu’elles vipérinent, ça oblige les hommes à tout faire pour tenir leur rang au concours de bites local. Vous donnez d’un coup de langue et reprenez de l’autre. Non, dans mon cas c’est pour mieux prendre mon pied, Delia. Et on sera quitte. Tiens. 

Toujours au sol, elle boit un peu au même verre et le pose à terre. Elle se console en imaginant briser le crâne de l’allumette brune et nue qui se relève et bombe le torse. Elle étouffe un petit rire entre sa morve et le sang dans son nez parce que Santu la domine en faisant bouger son sexe. Sa mère lui a dit que ce n’était qu’un mauvais moment à passer. Quelle abrutie. Si papa savait, songe-t-elle. Mais il sait, bien sûr. Delia se sent très seule et très lâche. 

– Tu sais que la Corse est le département qui utilise le plus de Viagra ? C’est prouvé, hein ! On ne peut pas tous être impuissants, quand même. 

– Je m’en fous, Santu, qu’on en finisse. Ne sers pas trop fort. Tu es sûr que personne ne doit venir. Je ne veux pas qu’on me voie comme ça. 

– T’inquiète. Allonge-toi. 

– Je vais prendre un quart de Lexomil d’abord. 

– Pas besoin. 

– À chacun sa dope. 

Delia rampe et se relève en posant d’abord les genoux par terre. Debout à son tour, elle soutient le regard de Santu et descend lentement sur son cou, s’attarde sur son plexus et descend toujours jusqu’à observer le sexe de Santu, long, droit, pointu. Le gland est rose très foncé. Il bande à mort. Il va lui faire mal. Aujourd’hui, demain et dans un an. Elle le sait. Ange-Ma » avait un sexe épais et rond, beige, pas trop long. 

– Dépêche-toi, souffle-t-il en saisissant les cordes avant de se replacer devant la baie vitrée et le paquebot. 

Elle ouvre son sac et se tourne vers Santu. Il est à contre-jour. Les cordages pendent à sa main gauche. Dans son dos, un horrible masque japonais tatoué ouvre une bouche rouge et dentue qui se moque de Delia. La main dans le sac, elle hésite entre la plaquette de Lexomil et le renflement dans la doublure décousue. Choisir, franchir un seuil, être liée ou déliée. Elle n’a pas l’habitude de réfléchir. Il va se retourner, elle verra ses yeux. Le masque japonais bouge, Santu s’impatiente et s’étire. C’est interminable, ça dure dix secondes. Delia prend le petit Glock 26 entre la doublure et le cuir du sac, le pistolet qu’Ange-Marie n’a pas eu le temps de sortir de sa sacoche quand Santu l’a fait abattre à la kalach ». Santu l’aperçoit dans le reflet de la baie vitrée. Les regards se croisent. Il y a des passagers sur le bastingage du Mein Schiff. Delia tire. Ange-Ma » lui a appris. La balle perfore le cou de Santu quand Delia visait le cœur. Le double vitrage n’explose pas quand la balle ralentie par la chair de Santu l’atteint. Une étoile se forme. Les passagers vaquent. Delia ne voit rien. Elle sait qu’elle a touché Santu, la détonation résonne encore dans son cerveau. Elle colle son dos au mur et heurte une photographie d’Araki et attend que Santu se vide sur le tapis et arrête de bouger. Il bande encore un peu. Ce n’est que ça, finalement. 

Elle essuie rapidement ses traces avec son boxer, récupère la robe déchirée et va dans la chambre de Santu, se déchausse, enfile un jean qu’elle replie aux chevilles, se rechausse, attrape une chemise blanche ajustée. Elle prend un moment pour s’arranger, laisse ses cheveux partagés en une raie au milieu tomber sur ses tempes et ses joues, les fait bouffer un peu. Pourquoi je ne me presse pas ? Personne ne doit venir. J’ai tiré quand même. Oui, mais l’appart » est blindé de partout et tout le monde se tait quand il y a un boum ici. C’est toujours la mort qui appelle les pompiers. J’ai le temps qu’il faut à l’âme de Santu pour déserter son corps et s’enfuir par l’étoile de la baie vitrée. 

– Ça va, Santu ? 

Elle le repousse un peu du bout d’une de ses richelieus vernis, récupère le disque dur de la vidéosurveillance avec le boxer à la main, s’assoit sur le tabouret, observe le sang très liquide de Santu avancer doucement dans le tapis. C’est joli, ça ferait une belle photo sur Instagram, se dit-elle. Elle réfléchit à nouveau pour ne rien oublier, descend du tabouret, met ses larges lunettes de soleil et va à la porte. 

– Tu vois, je me rends compte qu’il n’y a qu’une chose qui compte quand on a une vie de merde comme moi : les shoes, l’amour et la vengeance. Ça fait trois mais tu t’en fous maintenant, hein. 

Sur le trottoir, Delia se noie dans la vague de touristes allemands qui retourne à bord du Mein Schiff et appelle sa mère.

jeudi 29 décembre 2016

Pluie et grisaille - Été pourri à Melun plage - Nicolas Duplessier


Été pourri à Melun plage

Nicolas Duplessier

Editions Atelier Mosésu


Ma lecture :


Juillet, la pluie - personnage à part entière du roman - incessante, de celle qui vous laisse un voile devant les yeux, vous mouille jusqu’à la moelle, ajoute  à la grisaille des barres HLM. 

"Le béton a pétrifié la misère, isolant les classes les plus misérables. Le nombre de chômeurs a doublé. Ici plus qu'ailleurs, les conséquences dévastatrices ne se sont pas fait attendre. Chômage de masse qui glisse doucement vers une pauvreté de masse, émeutes populaires et désobéissance civile, séquestration des patrons pourris et autres escrocs en col blanc."


Florian, désabusé, mène tant bien que mal une vie étriquée à Melun. Sujet à une déprime lancinante, qui perdure depuis trop longtemps. Quand la femme de sa vie Roxane, réapparaît subitement, il se voit sortir de sa léthargie. Cela est sans compter sur les coups du sort. Après un message laissé par Roxane sur son répondeur, Florian part à la recherche de celle-ci. Les péripéties vont pleuvoir (c'est un maître mot dans ce livre) en chaîne.


Georges Stein, Ponts de Melun et vue de Seine,

Un premier roman bien mené, avec humour, des personnages bien campés, une mise en place de l'intrigue astucieuse. Fort agréable à lire.



Banlieue Boogie Blues


4ème de couverture




Florian traîne son mal de vivre dans les rues de Melun, entre un boulot minable et une vie sentimentale sans joie.

De morose, son existence devient vraiment pourrie le jour où Roxane, l’ex-grand amour de sa vie, est portée disparue.

Très vite dans la ligne de mire des policiers, Florian doit mener sa propre enquête et se confronter à ses fantômes, découvrant une histoire qui le dépasse et la tonne d’emmerdes qui l’accompagne.

Été pourri à Melun-Plage est un roman noir et cinglant qui raconte la descente aux enfers d’un loser pas du tout magnifique.

mercredi 28 décembre 2016

Larguez les amarres ! - Dernière escale - Sandra Martineau



Dernière escale
Sandra Martineau

Editions Lajouanie




La lecture de Danièle



"Le talent de Sandra Martineau a toujours été de créer des décors et des ambiances très particuliers (Agatha Christie et Claude Chabrol ne les auraient pas reniés). Avec "Dernière escale" elle arrive à créer un huis-clos en pleine croisière avec des centaines de personnes à bord.Le récit est très prenant, émaillé de fausses pistes qui n'en rendent le final que plus étonnant.Plus personnellement, mon avis de libraire est que Sandra Martineau joue dans la cour des grands et mérite d'être lue par le plus de gens possible."

Ma lecture


Vacances, j'oublie tout...Une croisière, la méditerranée, recoller les morceaux. Richard et Suzanne embarquent sur le Cruise Constantino, avec leurs deux enfants. L'espoir de voir leur mariage renaître de ses cendres tel un Phénix.
Mais c'est sans compter avec la fragilité de Richard, un passé lourd, des remords, de la culpabilité, doucement il sombre dans la folie.



Des personnages fouillés, avec une psychologie bien étudiée. Au fil des pages Sandra Martineau distille le venin, poison subtil, qui vous mènera là où vous ne vous y attendez pas. Le final est surprenant.

"Le nez plongé dans cet énième shot, je reste prostré, à contempler ma boisson sans voir les glaçons qui fondent lentement. Le spiritueux coule dans mes veines et je ne pense à rien. Je ne sens rien. Mes doigts sont tellement crispés que mes phalanges en sont devenues blanches"

Avec ce thriller psychologique, Sandra Martineau nous donne à lire un livre qui sans conteste affirme une maturité dans son travail d'écrivain, le style est plus assuré. 


4ème de couverture



Richard, ex-footballeur pro dont la carrière a pris fin après de multiples scandales, embarque avec femme et enfants sur le Cruise Constantino pour une croisière d’une semaine. C’est le voyage de la dernière chance pour renouer avec son épouse de plus en plus distante, renouer avec son fils, un ado grincheux et profiter enfin de la petite dernière, seul membre de la famille bien disposée à son égard.


L’ex-star du Barça, encore auréolée de son prestige, est accueillie en VIP. Les passagères lui font les yeux doux, un journaliste le poursuit pour tenter de décrocher un ou deux scoops, le commandant le reçoit, la voyante du bord l’intrigue… Bref, la croisière ne demande qu’à s’amuser, mais l’ex-joueur, obnubilé par le souvenir de l’enlèvement de sa sœur, n’a qu’une obsession, sur-protéger sa très jeune fille, proie idéale selon lui pour les prédateurs de tout poils gravitant dans les coursives.
Quand un détective, interloqué par ses agissements paranoïaques et ses réactions incohérentes vient proposer ses services à ce père anxieux, l’angoisse va croissante. Chaque escale apportant par ailleurs son lot d’événements plus inquiétants les uns que les autres.
Le paquebot débarquera-t-il autant de passagers qu’il en a embarqué ?





mardi 27 décembre 2016

Huis-clos - Bienvenue à Cotton's Warwick - Michaël Mention


Bienvenue à Cotton's Warwick

Michaël Mention

Editions Ombres Noires




Ma lecture

Il fait chaud, à Cotton's Warwick, si chaud que vous voyez ces brumes de chaleur qui cachent des mirages.




 Dans cette bourgade de l'Outback - région oubliée de tous - une poignée d'hommes et une femme. La vie en cercle fermé. L'ennui insidieux, le manque de moyen, les trafics. La folie qui s'installe, la suspicion.
Et soudain il se passe quelque chose. Quelque chose qui sort de l’ordinaire dans cette vie ankylosée. 
Les animaux de l'Outback deviennent fous. Razorback, kangourou, kookaburras, serpents, tous se révoltent et s'en prennent à l'Homme.









La folie de l'Homme transposée chez les animaux.
La folie des animaux qui fait exploser celle de l'Homme.

Une Ferme des animaux (George Orwell) moderne.

C'est noir, c'est poisseux, c'est fou, c'est violent, mais pas gratuit.
Une écriture superbe et visuelle qui m'a embarqué.


Un extrait ou deux...


"Le même jour, plus tard. Et plus chaud aussi. Un après-midi comme un autre, entre bières et ennui, sous ce soleil éclatant. Éruption or, sans nuance ni pitié, focalisée sur les rares eucalyptus du coin. Oui, il en reste encore quelques uns à travers le Red Grass. Avant, cette étendue était un gigantesque champ qui emplissait l'horizon. Il n'en reste aujourd'hui qu'un semblant de prairie rousse, la dernière à résister à la canicule. La vie, si naïve."


4ème de couverture



"Ici, il n'y a rien. Excepté quelques fantômes à la peau rougie de terre, reclus dans le trou du cul de l'Australie. Perdus au fin fond du Northern, ce néant où la bière est une religion et où les médecins se déplacent en avion."
 Australie, Territoire du Nord. Dans l'Outback, on ne vit plus depuis longtemps, on survit. Seize hommes et une femme, totalement isolés, passent leurs journées entre ennui, alcool et chasse. Routine mortifère sous l'autorité de Quinn, Ranger véreux. Tandis que sévit une canicule sans précédent, des morts suspectes ébranlent le village, réveillant les rancœurs et les frustrations. Sueur, folie et sang. Vous n'oublierez jamais Cotton's Warwick.



vendredi 23 décembre 2016

Nouvelle N° 16 - Javel - Trophée Anonym'us 2017


Créé par

 Anne Denost et Eric Maravelias




16 semaines déjà.


Javel


Hé, mon ami, on va continuer à chercher, dèh ! Tchoko-tchoko je vais le retrouver, ton fils. 

Je n’aurais pas dû dire ça. À l’instant où j’ai vu Narcisse hocher la tête, se servir en silence un autre thé, j’ai réalisé que c’était une erreur. Pourtant, tandis que je marchais vers sa maison, passant tête baissée devant maquis bondés et enseignes de coiffure, j’avais étudié chaque mot. Pesé le pour et le contre. Entretenir l’espoir d’une issue heureuse ainsi que je le faisais depuis des semaines. Ou aider mon ami à accepter. À réaliser, doucement, que peut-être on ne retrouverait jamais Roméo. Qu’aucun des gamins ne dirait plus rien, à présent. Qu’il était trop tard. 

Oui, peut-être aurais-je dû lui dire tout cela. 

Mais je n’y suis pas parvenu. 

Le soleil vertical écrasait nos ombres sur la terre de sa cour. Derrière lui se tenait sa femme, encadrée dans la porte, droite et muette dans son boubou. Cette vision de Narcisse ruiné par la peine, assis sur son petit banc sous le manguier, pour moi c’était trop. Insupportable. On vient du même village, on a grandi dans les mêmes rues du quartier, dansé le coupé-décalé dans les mêmes boites d’Abidjan, dragué les mêmes filles. Il a toujours tout réussi mieux que moi. Quand, le soir, j’enfilais mon uniforme d’agent de sécurité et que j’entamais ma nuit de gardiennage, je l’imaginais en train de vérifier l’état de sa fortune avant de quitter le bureau et de rejoindre sa famille nombreuse. Ou l’une de ses maitresses dans l’entrer-coucher qu’il louait secrètement à Yopougon. Oui, pour moi, Narcisse avait Dieu dans sa poche. Il ne pouvait rien lui arriver. Le voir comme ça, ça me rongeait le cœur. 

Alors non, je n’ai pas réussi à lui dire autre chose. 


Peut-être aurais-je dû lui rappeler de quoi on parlait. Revenir en arrière. Lui remettre en mémoire ce jour, où, lui et moi, on avait fait la connaissance des microbes. Oui, j’aurais dû commencer par là. Par cette première fois qu’il avait l’air d’avoir oubliée. 

Bien sûr avant, il y avait eu les rumeurs, les premiers incidents dans les rues d’Abobo. Mais c’est un soir, au maquis, qu’on a compris de quoi il s’agissait. Un de ces soirs comme les autres, autour d’une bière et d’une table bricolée aux pieds enfoncés dans le sable. Bonne ambiance, bonne musique. On parlait des enfants de Narcisse, il vantait la réussite de Sylvia, l’index levé pour souligner ses mots : Sciences économiques ! Sourire dentifrice, fier comme un ministre. À l’époque, le petit Roméo, il l’évoquait seulement en avalant sa Castel au goulot. 

Lui, je le tiens à l’œil ! Il traîne trop, je ne voudrais pas il gagne affaire. 

Pas plus inquiet que ça, son ventre de comptable pressant le rebord de la table. J’aimais ces moments avec lui, l’impression d’être quelqu’un d’important. Comme si sa fortune, je la partageais un peu. Les clients tout autour nous dévisageaient, sans doute qu’ils nous enviaient, nous prenaient pour des sortes de businessmans. La serveuse venait d’apporter deux nouvelles bouteilles. Elle rinçait les verres quand Narcisse lui a lancé : hé, petite sœur, tu es belle, on dirait princess… 

Mais il n’a pas eu le temps de finir sa tirade. Failli tomber de sa chaise tellement il a sursauté. 

À l’autre bout de la terrasse, un cri violent. 

On s’est retournés d’un coup. 

Là-bas, un homme se tortillait dans la terre en se tenant l’avant-bras. Autour de lui, un petit groupe lui lançait des insultes en nouchi. Échange de regards avec mon ami. Une bagarre, imaginais-je. Rien de plus. Jusqu’à ce que la serveuse mette d’autres mots sur ce qui venait de faire irruption dans le maquis. La voix terrorisée. 

Les microbes ! C’est les microbes, kèh !! 

Accélération, à peine le temps de réaliser. Les agresseurs, une marée de violence entre les tables, la poussière dans leur sillage. Combien ? Dix, douze peut-être. Armés de machettes qui fendaient l’air, de couteaux rafistolés. Une hache, même, trainée dans le sable et projetée en avant pour faire exploser les chaises. Des fous. 

Et tellement jeunes. 

Mon Dieu, ai-je réalisé. C’est des gamins ! 

Le plus petit de la bande, pas plus haut que sa lame de sabre, moins de dix ans à vue d’œil. Une horde de gosses déchainés, habillés de rien, jeans et shorts crasseux, terrorisant les clients et les encerclant avant même qu’on les voie arriver. Donne l’argent ! beuglaient-ils. Donne l’argent, là ! Les femmes effrayées leur jetaient billets et bijoux qu’ils fourraient dans leurs poches trouées avant de se précipiter sur la prochaine victime. Les hommes tentaient de s’interposer, mais les armes des microbes volaient plus vite que leurs coups de pieds. Le sang des plus téméraires giclait dans la terre pendant que d’autres prenaient la fuite sur les motos garées dans la rue. 

Mais Narcisse, lui, cloué sur place par la rapidité de l’attaque, il n’avait pas bougé. 

J’étais tout près de la sortie, j’ai vu quatre gamins fondre sur lui. Les lames brandies vers sa gorge. Donne grosse montre, là ! Sinon tu vas mourir… Même avec trois têtes de plus, Narcisse tremblait. Il m’a jeté un œil paniqué, les mains en avant comme deux boucliers dérisoires. Seigneur, mon ami d’enfance allait se faire embrocher ! Poussée d’adrénaline, regards à droite, à gauche. Faire quelque chose. Au hasard, j’ai empoigné une chaise en plastique. Et je l’ai balancée dans le dos des microbes. 

Deux sont tombés à terre, leurs machettes à trois mètres. 

Profitant de l’instant de stupeur, Narcisse a couru vers moi. Un gamin a jeté son couteau, entaille rouge vif au mollet. 

On a détalé dans les cris des morveux. 


Peut-être aurais-je dû expliquer encore une fois d’où venaient ces monstres. Comment en quelques mois ils s’étaient emparés de nos quartiers. Narcisse ne se rendait plus compte, l’inquiétude avait gommé toute lucidité en lui. 

Au début, on avait assisté sans réagir à la prolifération des microbes. Les gosses faisaient irruption dans les soirées, sur les marchés. De moins en moins discrets, ils dérobaient en plein jour téléphones portables et francs CFA. Toujours plus violents, les lames rouillées jaillissaient sous les mentons, tranchaient les chairs à la moindre résistance, abandonnant blessés et traumatisés dans la poussière. D’autres groupes sont apparus, l’épidémie est sortie des limites d’Abobo pour se répandre sur tout Abidjan comme une mauvaise gangrène. À Yopougon, à Attécoubé, et même à Cocody. En plus des faits-divers, des noms ont commencé à émerger. Les noms des chefs de gangs, pour entretenir le climat de tension qui montait. Et notamment celui de Pythagore. Le plus dangereux, à ce qu’on disait. On le prétendait protégé par quelque féticheur à coup de sortilèges et sacrifices. Pythagore, un mot qui faisait frémir nos femmes rien qu’à l’entendre. Ils étaient partout et moi, je voyais mon quartier devenir un coupe-gorge, les honnêtes citoyens qui n’osaient même plus sortir de chez eux le soir. 

Mon Dieu, ça me faisait mal de constater ça. 

Surtout qu’on savait que ces microbes, ils ne sortaient pas de nulle part. Que c’étaient les enfants de la crise qui avait hissé Alassane Ouattara jusqu’au palais présidentiel. Quand les combats avaient explosé après les élections, quand les militants avaient pris les armes pour évincer Laurent Gbagbo, le commando invisible avait recruté à tour de bras. Expérience, âge, origine, on n’était pas regardant. Les mineurs étaient les bienvenus, on les armait sans retenue. Sauf que personne ne se demandait ce qu'il adviendrait de tous ces gosses nourris à la violence une fois Ouattara au pouvoir. Passée la crise et ses trois mille morts, il aurait fallu bien plus que le maigre programme de l’ONU pour les réinsérer dans la société. 

Voilà d’où venaient les microbes. 

Et à présent, tout le monde passait à la caisse, pro-Ouattara autant que pro-Gbagbo. C’était devenu un vrai business, on racontait que les microbes se faisaient jusqu’à cent mille francs CFA par nuit. 


J’aurais dû dire à Narcisse que son fils, je le cherchais depuis des semaines. Que j’avais fait tout mon possible, fouillé chaque quartier. Que maintenant, il fallait peut-être arrêter. C’est terrible de dire une chose pareille à un père, mais c’est bien ce qu’il fallait faire : l’aider à se résigner. Mon Dieu, j’avais pourtant mis toute mon énergie pour trouver le gamin. C’est pour lui que j’avais intégré le comité de vigilance. 

Je me souviens du soir où Narcisse m’a annoncé la nouvelle. Dans son salon, les doigts plongés dans un atiéké poulet. Sa femme si vivante réduite au silence, la gorge serrée. Les autres enfants, assis par terre, osant à peine lever les yeux de leurs assiettes. Mon ami a attendu un moment avant d’évoquer le sujet. Et d’une voix éteinte, il a dit ces mots : 

C’est Roméo. Ça fait un mois il n’est pas rentré à la maison. 

Ce n’était plus le même homme, un peu voûté, un peu perdu. Sa réussite, son orgueil, tout cela avait disparu dans un gouffre d’inquiétude. Parce que les anciens amis de Roméo répandaient une rumeur. À force de trainer dans les rues, il se disait qu’il avait rejoint les microbes. La bande de Pythagore. On savait que d’autres gosses avaient fait cela, attirés par l’argent facile, par la drogue. Oui, c’était possible. Cette pensée m’a traversé l’esprit comme une balle de pistolet. Je revoyais l’enfant, à deux ans, cavalant dans la cour et s’étalant par terre alors qu’on se moquait de lui. Il se relevait toujours avec le sourire, du sable partout sur le visage, et il repartait de plus belle. Il faisait rire tout le monde à l’époque. J’essayais de l’imaginer à la place de ces petites terreurs avec leurs machettes. Seigneur ! Ça me faisait tellement de peine. J’enrageais en moi-même, tout cela devait s’arrêter. 

Alors j’ai promis à Narcisse et à son épouse. 

Mon ami, on est ensemble. Je vais le retrouver, dèh ! Vrai-vrai je vais retrouver Roméo. 

Et je me suis juré de faire ce qu’il fallait pour ça. Mon Dieu, je ne pouvais pas laisser ces terreurs continuer comme ça. Ce quartier, il était à nous, il fallait qu’on le reprenne. Pour nos femmes, pour nos enfants. Pour Roméo. 

Alors je suis allé voir le comité de vigilance. 

Plusieurs fois je les avais rencontrés, dans cette rue au bord de laquelle s’alignaient revendeurs de puces de téléphones et cybercafés pris d’assaut par les brouteurs. Quatre gars baraqués, patrouillant et jetant des regards sur les côtés, dans les ruelles étroites et boueuses qui se faufilaient entre les murs de parpaings. On traque ces monstres, là, qui terrorisent les honnêtes gens, disaient-ils. On est équipe de désinfection, quoi ! 

J’ai intégré le groupe de Moussa, ce type qui, une fois, avait fait la sécurité sur un parking avec moi. Un costaud, nerveux comme un serpent. Du soir à l’aube, on sillonnait les recoins d’Abobo. Sifflets en bouche pour se signaler auprès les habitants, armés avec ce qu’on trouvait, on passait de maison en maison pour rassurer les familles. On était populaires, les gens disaient En voilà au moins qui prennent les choses en main ! Pas comme cette police d’incapables qui ne protège que les intérêts du pouvoir ! Parfois on attrapait un microbe, on le tabassait un peu pour se défouler avant de le ficeler et de le remettre aux policiers. 

Mais moi, pendant toutes ces nuits de patrouille, je n’avais qu’un visage en tête. Celui de Roméo. Certain qu’il était quelque part, dans un de ces quartiers qu’on écumait. Comme une obsession : trouver le fils de mon meilleur ami. Le tirer de cette horreur dans laquelle il s’était fourré. Je posais des questions, je donnais son nom dès que je pouvais, j’interrogeais ceux qu’on tenait. Il y en avait bien un qui allait me dire où il pouvait être. 


J’aurais dû expliquer à mon ami que Pythagore, c’était notre dernier espoir. Que si le chef des microbes ne nous avait rien dit quand on a mis la main dessus, alors aucun autre ne le ferait. Oui, plus que tout c’est cela que j’aurais dû dire. Parce qu’en entendant ce nom, j’ai vraiment cru que j’étais tout près du but. 

C’était un soir de saison sèche, l’air lourd et poisseux. Une rue pleine de poussière, chichement éclairée par deux lampadaires grésillant. C’est là que les cris ont éclaté, à deux cents mètres de nous. On s’est mis à courir vers la petite baraque, les sifflets rugissants. Sous la tôle de son toit, il y avait cette femme qui gémissait en se tenant la cheville au milieu de ses seaux en vrac. À côté d’elle, un robinet fuyait dans une ravine sale. La blessure était bénigne, heureusement. 

C’est les microbes qui ont fait cela ? a demandé Moussa. 

Oui. Ils… Ils étaient quatre… Seigneur, faut mettre Javel sur eux ! 

Elle nous a indiqué vers où ils étaient partis. Mais avant qu’on se lance à leur poursuite, elle a ajouté : 

Attendez. Dans le groupe, là, il y avait… Il y avait celui qu’on appelle Pythagore ! 

Échanges de regards. Sourire sur le visage de Moussa. 

On a détalé dans la nuit, déterminés comme jamais, suivant le halo de la lampe-torche. On a croisé un gars debout sous l’ampoule jaune de sa bicoque. Tu as vu bande de microbes ? Par là ! a-t-il répondu, le bras tendu. Plus loin on a repéré deux gosses qui se disputaient un téléphone au pied d’un bouquet de palmiers chétifs, leurs lames abandonnées au sol. On les a agrippés avant qu’ils s’enfuient. Je me souviens de leur visage, les yeux injectés de sang. Drogués, ça se voyait. 

C’est toi, Pythagore ? ai-je lancé. 

Sourires en coin. Moussa a asséné une baffe. Tu sais, on va vous chicoter, ô ! 

Le plus petit a râlé en nouchi : Hé, l’est pas là, Pythagore ! 

C’est où qu’on le trouve ? 

Ils ont hésité, peut-être la peur. Puis le petit a dit : 

Dans… Dans Le Trou, dèh ! 

Une sorte de cratère coincé entre deux lotissements, un gouffre effondré sur une de ces terres impropres à la construction. Des falaises ocre et boueuses tout autour. 

C’est ça qu’ils appelaient Le Trou. 

On est arrivés par le haut, Moussa a éclairé le fond à la torche. Un endroit sinistre. Des monceaux de poubelles jetées dans le ravin par les habitants du coin. De la verdure aussi, des arbres tordus qui se frayaient un chemin entre les immondices. Des morceaux de bâche en lambeaux. Jamais les policiers ne se risquaient là-dedans. Trop sale, trop dangereux. On s’est regardés avant de se lancer. Puis on a contourné la fosse, sifflets muets, le long des talus en équilibre. Un sentier glissant s’enfonçait vers le fond, aménagé par les gosses à même la falaise. On le tient, grognait Moussa dans la descente, avec seulement le chant des grenouilles et des insectes autour de nous. Arrivés en bas, on a avancé au hasard, les pieds pris dans un mélange de boue et de déchets. 

Et dans le halo de la torche, on a repéré l’abri. Juste devant. 

Une bâche noire tendue de travers entre des piquets de bois. Des tissus sales qui pendaient de partout. On a marché encore, les pas mal assurés, la respiration lourde. Mon cœur, trop rapide. Mais pas de peur. L’excitation. Moussa a tiré la bâche d’un seul geste. Et révélé la silhouette assise sur les planches. Immobile, éblouie par la torche. 

Pythagore… ai-je murmuré. 

Le microbe ne disait rien, les yeux explosés, le regard vide. Il réagissait à peine à la lumière. Sûrement drogué par toutes sortes de substances. En le voyant comme ça, j’ai deviné qu’il n’était pas en état de parler. Que je n’obtiendrais rien de lui à propos du fils de mon ami. Pas à ce moment-là, en tout cas. 

Moussa l’a toisé, de la rage partout sur son visage noyé dans la nuit. 

Maintenant, tu vas payer… 

Il allait le frapper avec le couteau qu’il avait pris en main. Mais j’ai arrêté son geste. 

Attends. On va le remonter, ou bien ? 

Je ne voulais pas qu’il le blesse. Pas encore. 

On s’est regardés, hésitants. Et finalement on a attrapé Pythagore par le bras pour le ramener là-haut. Sur la terre ferme. Trainé dans la pente alors que ses tongs glissaient dans la boue. 

C’est là que j’ai vu ce qui l’attendait. 

Juchées au sommet des murs ocre, des formes humaines se détachaient dans le noir. Dix-quinze personnes. Des adultes. Des curieux attirés par notre expédition. Oui, c’étaient les habitants du quartier. Ils nous observaient monter vers eux, espérant apercevoir la face de celui qui terrorisait leurs familles. Et plus on avançait, plus leurs paroles nous parvenaient. Ils se chauffaient les uns les autres, Pythagore, Pythagore, le nom du chef de gang était dans toutes les bouches. Je suis arrivé au sommet en dernier. Et j’ai découvert tous ces types prêts à en découdre, avec leurs armes de fortune entre les mains. La lumière jaune d’un lampadaire éclairait timidement ce petit monde sur le point d’exploser. 

Alors j’ai réalisé ce qui allait se passer. 

Et que je ne pouvais rien contre ça. 


J’aurais dû mettre un terme aux espoirs de mon ami. Lui dire que Pythagore n’avait pas eu le temps de parler avant de se faire lyncher. Que la trace de Roméo avait sans doute disparu avec lui. 

Toute la nuit le cadavre du chef a circulé dans les rues du quartier, son corps mutilé brandi comme un trophée sous les cris de joie. À présent il y avait des vidéos qui tournaient sur YouTube, des photos sur Facebook qui seraient bientôt censurées. Tout cela, Narcisse l’avait vu, comme ces gens qui fêtaient la mort du démon. Mais tout de même, il avait espéré que je revienne de mon expédition avec une piste. Au moins une information, un petit quelque chose qui allait lui permettre de revoir son fils. Je le jure devant Dieu, j’aurais donné n’importe quoi pour ça. Pour pouvoir lui annoncer qu’on avait retrouvé Roméo. 

Mais ce n’était pas le cas. 

Je ne lui ai pas raconté comment ça s’est passé. Je n’ai pas parlé de ces images qui me hantent encore aujourd’hui. La première pierre balancée par une femme, déchirant un bout de peau sur l’épaule noire. La machette de Moussa plantée dans le dos nu. Le mutisme effrayant du gamin, à terre, n’essayant même pas de se défendre. Le coup de couteau dans la cuisse. Puis le déluge de violence qui s’était abattu sur ce corps livré à la meute. Les cris, les insultes, les crachats, les coups de pieds, les coups de poing. 

Non, tout ça, je ne l’ai pas décrit à Narcisse. 

Je n’ai pas raconté non plus ce que moi, j’ai fait, après la lapidation, alors que le cadavre était vautré dans la terre au pied de tous ces citoyens repus. Le marteau dans ma main, les doigts serrés autour du manche. Comment j’ai frappé. Dieu me pardonne, mais oui, j’ai frappé ! Une fois, deux fois, trois fois, comme un fou j’ai frappé cette tête. Écrasé le nez, défoncé les yeux alors que les miens s’étaient remplis de larmes. 

Pour faire disparaître au plus vite ce visage. Ne laisser aucune trace. 

Non, bien sûr, je n’ai pas dit ce que j’ai fait quand j’ai reconnu Roméo. Quand, dans la lumière du lampadaire, j’ai réalisé qu’on s’était trompés, que celui qu’une foule entière venait d’exécuter n’était pas ce fou qui se faisait appeler Pythagore. 

À Narcisse, alors qu’il me servait du thé sous le manguier dressé dans sa cour, alors que son épouse effondrée me regardait comme l’ami de toujours, j’ai dit à la manière d’un lâche : On va continuer à chercher, dèh ! Tchoko-tchoko je vais le retrouver, ton fils.

lundi 19 décembre 2016

Le Noël des blogueurs 2016 - Concours - Ze Résultats !


Concours
Le Noël des Blogueurs 2016 - Année 3

Ze Résultats








Voila le moment tant attendu pour certains d'entre vous ... Merci à tous, nous n'en revenons toujours pas de ce fort taux de participation ! Ce concours est un véritable plaisir pour nous, mais il ne serait rien sans vous ! Nous souhaitons aussi remercier tous les auteurs qui ont relayé le concours sans oublier notre auteur sans qui ce concours n'aurai pas été aussi ardu Monsieur Olivier Norek ..Nous avons reçu beaucoup de commentaires des plus sympathiques, enthousiastes et motivant pour entamer cette nouvelle année qui arrive.


Passons d'abord à la réponse de l'énigme avant le tirage au sort. Pour cela nous vous remettons le texte !

Opération Carnaval.







Le couple avait laissé derrière lui quelques vitrines brisées, des bijoutiers éplorés et des flics sur les dents. Suivant un mode opératoire précis, ces braqueurs amoureux se déguisaient différemment à chaque fois et lorsqu’il fallut créer une cellule police spécialisée, le nom d’ « Opération Carnaval » sembla évident. Autant dire que toute la PJ parisienne était à leurs trousses et plus le montant de leurs forfaits grimpait, plus la crainte de les voir disparaître à jamais augmentait.


Inquiétude confirmée lorsqu’après cinq joailleries visitées, à raison d’une par semaine, ils ne firent plus parler d’eux pendant un mois entier.
Puis ce fut le coup de chance, comme on l’espère dans chaque enquête. Une femme de ménage d’un grand hôtel retrouva, coincé entre deux plinthes de parquet d’une chambre désormais vide, un diamant qu’elle crut être un faux. Nos policiers débarquèrent, confirmèrent l’authenticité du bijou, son origine crapuleuse et jetèrent la femme de ménage dans une profonde dépression lorsqu’ils en évaluèrent le prix. Les vidéosurveillances furent réquisitionnées et nos flics firent la connaissance du couple de braqueurs, sur un vieux moniteur télé en noir et blanc à l’image saccadée et légèrement parasitée. Une fois la chambre perquisitionnée de fond en comble, le gérant des lieux informa l’équipe de la PJ que le wi-fi de l’hôtel avait été utilisé pour un achat de deux billets d’avion.
Il était temps pour le capitaine en charge de l’opération de relire ses notes et de lancer l’opération :



Trois équipes d’intervention étaient parties à Roissy, images de vidéosurveillance en main pour retrouver les malfrats. La tenue vestimentaire de nos ennemis n°1 confirmait un voyage vers l’hémisphère sud. L’homme, de type méditerranéen, portait les cheveux gominés plaqués en arrière et affichait un sourire carnassier en tout temps. La femme ne cherchait visiblement pas la discrétion tant sa vulgarité attirait l’œil. Maquillée comme une voiture volée, look de cagole premier choix.
Dans la poubelle de la chambre, une lingette de 3cm carré, imprégnée d’éthanol et d’éther fut retrouvée, ainsi qu’une plaquette de médicaments sur laquelle on pouvait lire Procuta 40mg.
Dans un coin du bac de douche, les effectifs de l’identité judiciaire prélevèrent, sur une touffe de cheveux bruns oubliés, un liquide dont la composition chimique avait été analysée. Une composition qui permettait de passer d’un
RGB 91 60 17 à un RGB 255 228 54.
Sur la table de chevet, un calendrier 2016/2017. La 12ème semaine était entourée de rouge, ainsi que la 48ème. Certains jours étaient aussi soulignés : le 12 mai, le 10 février, le 13 novembre, le 12 décembre, le 4 novembre, le 4 juillet et le 29 septembre.
Vous voici donc maintenant à Roissy, à la tête de l’ « Opération Carnaval », dans un océan de touristes, à la recherche de nos criminels. Vos policiers ont déjà bien travaillé et sélectionné pour vous quatre couples dont l’apparence physique pourrait correspondre au couple recherché.




Donc cela nous donne un homme brun, cheveux gominés (bon on fait comme on a pu ) en tenue d'été avec de l’acné (le procura) et une femme enceinte (le calendrier et les dates pour des prénoms de garçons), maquillée de façon vulgaire avec des lunettes en tenue d'été.


Il ne vous reste que deux possibilités :


Céline Evitable et David Cicode !




Place aux vainqueurs !























N'oubliez pas de nous faire parvenir vos coordonnées via le mail : noeldesblogueurs@yahoo.com

Bravo à tous .

Et surtout de TRÈS BONNES FÊTES DE FIN D'ANNÉE A TOUS !